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La petite fille de Monsieur Linh

Faire passer des oraux du bac de français, c'est avoir la chance de découvrir de nouvelles perles. Cette année, quelques élèves - habituellement peu à l'aise avec la lecture - m'ont parlé avec émotion du roman de Philippe Claudel, La petite fille de Monsieur Linh. Leur enthousiasme était contagieux. J'ai profité d'une heure de train pour me faire ma propre idée sur le roman.

On y rencontre Monsieur Linh, vieil homme descendant du bateau qui lui a permis de fuir la guerre dans son pays natal, qu'on devine être le Viêtnam. Son fils et sa belle-fille sont morts lors d'un bombardement, et n'a survécu que sa petite fille, Sang Diû, un nourisson, retrouvé dans la rizière dévastée auprès de sa poupée. Monsieur Linh erre entre le foyer et le pâté de maisons voisin, prenant soin de Sang Diû, se fait un ami, Monsieur Bark, alors même qu'ils ne parlent pas la même langue.

Le roman raconte ainsi l'errance de Monsieur Linh et de Sang Diû dans ce pays froid et inconnu, sa volonté d'avancer pour prendre soin de sa petite fille.

Réfugiés viêtnamiens en route vers un navire américain. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/Vietnamese_refugees_on_US_carrier%2C_Operation_Frequent_Wind.jpg

Un récit universel

Que dire d'autre sans trop dévoiler le roman ? Le récit est court, très court, à lire en une heure et demie environ. Dans un style extrêmement simple, il raconte les lendemains de tragédie et la résilience, faisant écho, avec violence, à l'actualité des réfugiés. Le lien est tissé entre ici et ailleurs, entre Monsieur Linh et Monsieur Bark qui, sans besoin de mots, et sans avoir eu la même histoire, se comprennent et se soutiennent.

Le fait que les noms de pays ne soient pas évoqués permet au récit d'atteindre une résonance universelle : si certes on devine facilement le Viêtnam, ou du moins un ancien pays de l'Indochine, le pays de Monsieur Linh pourrait être n'importe quel pays en guerre. Cela me rappelle ainsi Incendies, de Wajdi Mouawad, pièce de théâtre dans laquelle l'ancrage géographique réel avait été gommé (bien qu'on devine le Liban en arrière-plan).

Les tragédies ordinaires

Quand Monsieur Linh présente Sang Diû à Monsieur Bark, il comprend : "Sans Dieu". Cette confusion suffit à suggérer l'idée que dans le récit de Philippe Claudel, la providence divine a disparu, les hommes sont abandonnés à leur propre désespoir (c'est le sentiment de "déréliction", celui selon lequel on est abandonné de Dieu, si habituel dans les récits bibliques).

Mais le roman ne s'arrête pas là : il recrée de l'espoir là où celui-ci a disparu, il lie d'amitié deux hommes que tout oppose, et des rayons de soleil s'insinuent dans les passages les plus pluvieux.

En bref : 13/20. La petite fille de Monsieur Linh est un roman à la hauteur de ses ambitions. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, le style n'est pas à couper le souffle, l'intrigue simple, le récit extrêmement court, mais le tout fonctionne efficacement pour accrocher le lecteur dès les premières pages et le laisser ému en refermant le livre. Je ne sais pas, à vrai dire, si j'en garderai moi-même des souvenirs très marquants, mais je le ferai sans doute lire à mes propres élèves, et j'ai passé un bon moment.

A lire si vous cherchez une courte lecture de vacances, de train ou de métro.

Mon édition : La petite fille de Monsieur Linh (2005), Philippe Claudel,  Le livre de poche, 2016.

Vous avez aimé La petite fille de Monsieur Linh, vous allez adorer Incendies, de Wajdi Mouawad (2003).

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